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[News INSU] Pourquoi trouve-t-on des argiles mélangées aux sables dans les estuaires ?

Pourquoi trouve-t-on des argiles dans l’espace interstitiel des sables des estuaires alors que le fort hydrodynamisme prédit un tri granulométrique vertical ou horizontal des grains ? Une étude sédimentologique des sables de l’estuaire de la Gironde a permis de répondre à cette question. Les cordons sableux contiennent jusqu’à 25% d’argiles logées dans l’espace interstitiel des grains de sables. Les biofilms produits par les diatomées ont joué un rôle prépondérant « de glue » permettant aux argiles de se coller sur les grains de sables lors de la sédimentation sous forte turbulence.

La porosité et la perméabilité peuvent être préservées dans les réservoirs de grèseux très enfouis par un tapissage argileux (principalement de chlorite) qui limite le développement de surcroissance de quartz. La mise en place précoce de minéraux précurseurs à la chloritisation semble être un facteur clef dans la conservation des bonnes porosités lors de l’enfouissement des sédiments. La mise en place de ces argiles dans des sédiments argileux reste incertaine: s’agit-il d’une mise en place au moment du dépôt ou est-ce que ces argiles apparaissent dans les sables après le dépôt. Ces argiles (chlorites) tapissent les grains de sables (quartz) de manière homogène, et forme une couche limitant la croissance des surcroissances de quartz lors de l’enfouissement. Le sédiment reste ainsi poreux même à de grande profondeur. Comme la diagenèse précoce pré-déterminera les processus diagénétiques qui se produiront lors de l’enfouissement, en empêchant par exemple la croissance des quartz, identifier les zones où les argiles sont mélangées aux sables sera fondamental pour mieux comprendre et prédire l’emplacement et la distribution des roches réservoirs dans le sous-sol. Le dépôt d’argile dans l’espace intergranulaire des sables est un paradoxe sédimentologique car l’hydrodynamisme contribue à réaliser un tri des particules lors du dépôt. Il n’est pas commun de déposer des sables et des argiles en même temps. En général, lorsque que de l’argile est retrouvé dans l’espace intergranulaire des sables, des variations cycliques de l’hydrodynamisme (marrée, saison) ou des processus d’infiltration sont suggérés.

Figure 1: A-Dunes sableuses sur la barre tidale de Richard; B-Tapissages argileux formant des ponts autour des grains de quartz.
© Crédit photo Benjamin Brigaud et Maxime Virolle

Afin de répondre à cette question, des chercheurs de Géosciences Paris Sud (GEOPS, CNRS/Université PARIS-SUD), en collaboration avec ceux de G&E (ENSEGID, Bordeaux INP, Université Bordeaux Montaigne), de l’IC2MP (CNRS, Université de Poitiers) et de la société ENGIE ont entrepris une analyse à haute résolution de la composition, de la distribution et de la fabrique des argiles le long d’un estuaire moderne, celui de la Gironde (Sud-Ouest, France). L’échelle d’investigation s’étend des lames minces (MEB), jusqu’à l’estuaire tout entier (sur 150 km de longueur), en passant par les corps des barres sableuses tidales à barres de méandres. Les résultats montrent que les argiles sont détritiques et se déposent en même temps que les grains de sable malgré de fortes conditions hydrodynamiques (courant de 50 à 100 cm.s-1). Le résultat majeur démontre que ces argiles détritiques (illite et smectite) sont collées sur les grains de quartz de taille infra-millimétrique formant un tapissage plus ou moins régulier, formant parfois des agglomérats. En moyenne, un quart des grains de sables détritiques sont enrobés d’argile sur l’intégralité de l’estuaire, du banc de Richard en aval à la barre de méandre de Caudrot en amont. L’épaisseur des tapissages varie de 1 µm à plus de 200 µm, et le taux de recouvrement des grains détritiques de quartz ou feldspath dépasse parfois 30 % dans certains échantillons. La position de la zone de turbidité maximale (turbidité de l’eau de surface de 1 à 10 g.l-1) dans l’estuaire, qui est contrôlée par les variations saisonnières des processus hydrodynamiques, a un impact significatif sur l’emplacement de la teneur maximale en argile et sur l’abondance des tapissages dans les faciès sableux de l’estuaire.

Figure 2: Dune 3 D bidirectionnelles avec des pentes surlignées par des galets boueux.
© Crédit photo Benjamin Brigaud

La floculation dans la colonne d’eau entraîne l’accumulation de matières en suspension et contribue à la turbidité élevée de l’estuaire. Les substances d’exopolymères produites par les diatomées sont observées à la fois sur le terrain et sur échantillon ramené au laboratoire et observé par cryo-MEB. Ces substances d’exopolymères jouent un rôle majeur dans le collage d’argile détritique autour des grains de sable au moment du dépôt, ils forment une sorte de glue collant les argiles aux grains sableux.

Enfin, les barres sableuses tidales et les barres de méandre hétérolithiques dans l’estuaire et les chenaux estuariens sont des cibles sédimentologiques de choix pour trouver des tapissages argileux et donc potentiellement des réservoirs de bonne qualité dans les grès même à des profondeurs importantes.