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[Publication Sedimentary Geology] Fin de la grande plate-forme carbonatée jurassique dans le domaine ouest téthysien : déchiffrer le rôle relatif du climat et de la géodynamique

L’étude intitulée « Sedimentary architecture, depositional facies and diagenetic response to intracratonic deformation and climate change inferred from outcrops for a pivotal period (Jurassic/Cretaceous boundary, Paris Basin, France) » par Benjamin Brigaud, Benoît Vincent, Maurice Pagel, Antoine Gras, Aurélie Noret, Philippe Landrein et Emilia Huret vient d’être publiée dans la revue Sedimentary Geology , volume 373, pages 48-76.

En collaboration avec l’Andra, l’origine de la fin de la production carbonatée sur la plate-forme ouest Téthysienne vers la limite Jurassique/Crétacé a été examinée dans le Bassin de Paris. Vers cette limite Jurassique-Crétacé, au contraire d’autres limites de période, il a été impossible de trouver des marqueurs géo-biologiques globaux. Même des marqueurs communs au domaine ouest Téthysien n’ont pas été reconnus empêchant d’effectuer des corrélations inter-bassins très fiables de marqueur visible à grande échelle et empêchant de placer cette limite de manière certaine sur un grand nombre de coupes. Cette caractéristique de la limite Jurassique-Crétacé en fait une limite spéciale et compliquée à étudier. Les études de cette transition ont récemment connues un regain d’intérêt à travers les travaux du Berriasian Working Group travaillant sur la définition d’une coupe marquant la limite Jurassique-Crétacé (Gradstein, 2012). Ces travaux amènent d’intenses débats, sur la définition de cette limite. Malgré des affleurements de très bonne qualité, l’Est du Bassin de Paris n’a reçu que très peu d’attention comparé à d’autres dépôts de la même période dans le Jura, dans le Dorset et le dans Boulonnais. Afin de participer aux débats sur la définition de cette limite, une collaboration a été montée entre l’Université Paris-Sud (Benjamin Brigaud et Maurice Pagel), l’Andra (Philippe Landrein et Emilia Huret) et Cambridge Carbonate (Benoît Vincent) afin d’essayer de contribuer à apporter des précisions sur les changements paléo-environnementaux autour de cette limite. Un des objectifs affichés a été de déchiffrer l’influence respective des perturbations géodynamiques et climatiques par l’étude des affleurements situés à proximité de la commune de Bure (Meuse). D’un point de vue plus appliqué, les formations sédimentaires de la limite Jurassique-Crétacé forment les formations de surface situées à l’aplomb du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) de l’Andra. Caractériser les architectures sédimentaires des formations de la limite Jurassique/Crétacé est donc de tout intérêt puisque ces formations sont censées être excavées et aménagées lors de la construction éventuelle des descenderies et des rampes d’accès au site de stockage souterrain des déchets radioactifs.

Dans cette partie du Bassin de Paris, bassin intracratonique réputé relativement stable, quatorze lithofaciès ont été observés se répartissant dans deux grands systèmes de dépôt (1) une plate-forme carbonatée et (2) un environnement deltaïque. La production carbonatée de la plate-forme se termine entre le Berriasien inférieur et supérieur. Elle est d’ailleurs marquée par un processus de dolomitisation. Les signaux isotopiques de la dolomite (δ18O compris entre +2 et+4 et δ13C entre 1 et 3) suggèrent une dolomitisation syn-sédimentaire du sommet de plate-forme en environnements salés et sub-évaporitiques. Les reconstructions de l’architecture et du faciès ont permis de bien contraindre la grande discordance Jurassique-Crétacé (Jurassic Cretaceous Unconformity – JCU), qui est reconnue comme étant un important épisode structural dans le bassin de Paris. Elle se marque dans l’Est du Bassin de Paris par une surrection estimée à environ 80 m et une déformation NW-SE de faible longueur d’onde aboutissant à la mise en place d’un synclinal de 15 km de large sur 30 km de long. Cet événement tectonique tend très probablement à maintenir une sédimentation côtière dans des lagunes et des marais d’eau saumâtre à salée d’environnements supratidaux. L’évolution vers des environnements de plus en plus restreints sur la plate-forme est très probablement à l’origine des dolomites qui marquent les faciès purbeckiens. Il s’avère qu’un changement climatique (condition plus aride) associé à une tectonique locale a permis de déposer des sédiments dolomitiques et évaporitiques dans un synclinal.

Le principal changement de dépôt a eu lieu entre le Berriasien inférieur et supérieur. Il a été marqué par la fin de la production carbonatée (carbonatée et dolomitique) et des dépôts clastiques fluviatiles-deltaïques (faciès Wealdiens). Ce changement sédimentaire majeur s’est produit juste après un événement d’érosion majeur au cours du Berriasien supérieur correspondant à la discordance Ryazanienne (Ryazanian Unconformity – RU). Cette discontinuité se marque dans l’Est du Bassin de Paris par des incisions sur la plateforme forme carbonatée et un changement de lithologie passant de carbonates (faciès Purbeckien) à une série clastique (sables Wealdiens). Cette discontinuité semble être un mélange entre un début de karstification de la plateforme sous climat plutôt humide et une incision par des chenaux en domaine de plaine deltaïque. La phase de rifting dans le golfe de Gascogne et dans la zone pyrénéenne a probablement eu une influence majeure sur le nord de la France en provoquant une surrection globale de près de 120 m cumulée pendant le Tithonien. La géodynamique a très probablement joué un rôle majeur dans la disparition des faciès carbonatés dans le Bassin de Paris, permettant l’émersion de grandes surfaces de la plateforme. Les conditions climatiques locales plus fraîches et surtout plus humides à partir de la seconde moitié du Berriasien favorisent un afflux de sédiments terrigènes depuis le Massif de Londres-Brabant vers des domaines marins qui sont définitivement défavorables à la sédimentation carbonatée.