Parmi les propriétés extraordinaires du graphène, il existe une anomalie magnétique géante prédite depuis les années 1950s et encore jamais mesurée directement. En contrôlant un feuillet de graphène presque sans défaut avec une tension électrostatique et en utilisant des capteurs à magnétorésistance géante ultrasensibles, des physiciennes et des physiciens ont pour la première fois mis en évidence cette singularité magnétique expérimentalement.

Les électrons plongés dans un champ magnétique décrivent des orbites circulaires, générant ainsi un moment magnétique qui s’oppose au champ magnétique. Cet effet donne lieu, dans sa version quantique, au diamagnétisme de Landau bien connu dans les matériaux conducteurs. On sait depuis longtemps que ce magnétisme orbital dépend de la structure, cristalline et électronique, du matériau considéré. Plus récemment, il a été démontré que lors du mouvement orbital des électrons, leur fonction d’onde, reflétant les symétries cristallines, acquiert un déphasage d’origine géométrique, dit phase de Berry, qui influe sur la direction de la réponse magnétique.

Dans le cas du graphène, la structure électronique présente un point remarquable, le point de Dirac, qui est à l’intersection de deux bandes d’énergie en forme de cônes et pour lequel les électrons se comportent comme si leur masse était nulle. En particulier, dès 1956, une réponse orbitale, diamagnétique et divergente, a été prédite lorsque le potentiel chimique coïncide avec l’énergie du point de Dirac, c’est-à-dire lorsque la bande inférieure est complètement remplie d’électrons et la bande supérieure complètement vide (figure). Cette prédiction est surprenante, car c’est au point de Dirac que la densité d’électrons est minimale. Elle s’explique avec la phase de Berry qui vaut p dans le graphène et qui conduit à une réponse orbitale négative, s’opposant au champ magnétique et donc diamagnétique. De plus, cette phase intervient aussi dans la quantification des niveaux d’énergie de Landau et donne lieu à un niveau au point de Dirac, créant ainsi une densité d’états non nulle en ce point. La première mise en évidence expérimentale de cette singularité magnétique vient d’être réalisée dans une collaboration menée par des physiciennes et des physiciens du Laboratoire de Physique des Solides à Orsay (CNRS/Université Paris-Saclay), grâce à une mesure ultrasensible de l’aimantation d’un cristal micrométrique de graphène quasiment parfait, et au contrôle de la densité d’électrons autour du point de Dirac avec un champ électrostatique. Cette étude est publiée dans la revue Science et vient de faire l’objet d’un fait marquant dans les actualités du CNRS.